J’ai beaucoup dessiné durant toute mon enfance, principalement afin de meubler les plusieurs moments de solitude forcée par les circonstances, pas vraiment dramatiques mais suffisamment particulières, qui ont peut-être forgées les bases de ma personnalité.

Les déménagements fréquents, les heures de niaisage pendant que les adultes s’amusent entre eux, les journées pédagogiques sans supervision, les fins de semaines pluvieuses dans un chalet où on a déjà trop joué au Monopoly pis à Jour de paye, pis aux dames, pis aux échecs pis aux… tout ces autres longs moments d’attentes dans les restaurants, à dessiner sur des napperons, des napkins ou même à l’endos d’un sous-verre; dans les gares de bus, de trains ou d’avions, les ports et les aéroports.

À dessiner sur n’importe quel bout de papier ou calepin disponible. Même ligné; à double interligne même. Même quadrillé; c’est super pratique pour faire des plans, même si c’est plutôt ordinaire pour les portraits qui ne sont pas des portrait robots

Bref, en un mot comme en cent entre 6 et 35 ans , n’étant pas particulièrement sportif, j’ai toujours principalement passer mes temps libre, hors télé, sur du papier. Soit à dessiner ou à lire. En santé comme en convalescence, à la maison comme à l’hôpital; dans les parcs ou les cafés, je pouvais lire ou dessiner…

Je me souviens particulièrement d’un après-midi en famille dans le parc de la Gatineau vers la fin du primaire. Je me suis échappé des conversations ennuyantes des adultes auprès d’un vieil arbre que j’ai dessiné avec une attention grandissante alors que mon esquisse progressait selon la technique de « scribbling » que j’appliquais pour la première fois après l’avoir lu dans un manuel « How to draw », édition 1965 genre.

Fasciné par la force des puissantes ramifications émergeant de la terre, par le développement des racines, l’agencement anarchique mais harmonieux de l’écorce se formant en épaisses couches craquelées de canyons. Les brins d’herbes s’échappant en épis entre les fondations de cet arbre centenaire… la lumière dans le feuillage…

Je me suis « vu » me regardant, admirant les marques du temps incrusté dans la chaire de cet arbre énorme.

C’est une pensée qui me vint plus tard suite à une lecture de fin vingtaine. Un auteur intéressant: Raymond Abellio. Un peu tombé dans l’oubli, semble-t-il. C’était néanmoins un écrivain reconnu à l’époque. Il est l’auteur de « Heureux les Pacifiques » notamment.  Mais c’est dans un de ses ouvrages que j’ai lu cette métaphore sur la conscience de soi: c’est comme lorsqu’on se promène à vélo, tout jeune, et qu’on réalise que c’est « soi » qui se voit regarder les maisons qui défilent. Il se crée une projection mentale d’un « moi » distancié, se voyant agir: les prémices de la conscience de soi.  En-t-k…

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Enfant, chez ma grand-mère, j’ai rempli des feuilles de « carton à bas de nylon » de dessins divers, pas nécessairement figuratifs, genre papa/maman/maison. Plutôt un chemin . Tournant autour d’eux même comme des empreintes digitales ou la représentation, d’un point de vue extérieur, de la masse compacte de notre ventre; de nos intestins s’entortillant dans des méandres, non sans fins puisque qu’il y a une sortie prévue! La fin de l’espace ou du temps à consacrer au dessin. Soit la feuille est trop remplie soit c’est l’heure d’aller manger!

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Bref,  toutes ces circonstances solitaires m’ont conduit vers la première tablette disponible à cette époque: un sketchbook, ou plutôt, carnet de croquis! Le crayon servait de souris en ces temps reculés.

Comme distraction c’était ça: le dessin, la lecture, le sport ou la télé. Télé « noir et blanc », jusqu’à ce que vraiment trop de voisins aient la télé couleur pour qu’on puisse encore décemment de s’en passer! Télé qui à l’époque comptait moins de chaînes, chez nous en-t-k, que de doigts de la main, jusqu’à l’arrivée très tardive du câble à la maison. Maman ne voulait pas qu’on écoute le canal 10! Il restait le canal 2, le 6 en anglais, le 12 aussi en anglais, le 15 (j’étais déjà assez vieux à cette époque pour avoir assisté à la naissance de Télé-Québec!), le 22 pis le 57. Un pas si pire, l’autre plein de neige, pas écoutable. Burlington et/ou Plattsburg peu importe.

Au moins, pour nous aider, on avait des oreilles de lapins avec de la laine d’acier Bull-Dog empalée au bout des antennes!

Amis végans ou Peta, ne vous offusquez pas : aucun animal n’a été maltraité. Aucun lapin, encore moins de bull-dogs, n’a subit le moindre préjudice contre quelques antennes ou parties d’aucun animal que ce soit. Il ne s’agit que d’une figure de style à propos d’un appareil dont l’utilité est d’une époque révolue; même si la laine Bull Dog subsiste toujours.

Y avait pas des écrans partout-partout comme aujourd’hui.

D’une certaine manière mon sketchbook me servait vraiment de tablette. Je pouvais croquer des scènes, à défaut de prendre une photo. Noter des informations, adresses ou numéros de téléphones. Partager mes idées et mes dessins en les montrant à quiconque ça pouvait bien intéressé. Noter des impressions,comme dans un journal intime. Faire des plans avec un partenaire. 

Quand je regarde ça rétrospectivement, je me dis que ma génération aura vécu dans une période charnière qui sera définie dans l’histoire comme étant l’âge « pré-numérique ». 

Peut-être que chacun d’entre nous ou presque considère que sa génération a vécu à un moment charnière de la grande aventure de l’humanité. S’agit juste de la nommer: Babyboomer, Beatnick, Enfant de la guerre, Années folles ou Belle époque… C’est juste que les changements vont plus vite aujourd’hui qu’au temps où Rome dominait le monde occidental.

Bref, j’ai traîné mon sketchbook avec moi en permanence depuis l’adolescence, dans un sac, que j’ai souvent oublié quelque part mais jamais perdu, jusqu’à ce que le téléphone « intelligent » vienne combler tout ces besoins vitaux de création/communication/passe-temps.

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J’ai vraiment commencé à dessiner avec l’ambition d’en faire une carrière suite à une mononucléose durant mon adolescence. Elle me garda au repos, à la maison, plusieurs semaines, contraint à éviter le moindre effort. En tant qu’ado c’était vraiment une dure épreuve (!)

J’ai vraiment pu dessiner à satiété, ne pouvant rien faire d’autres à part quelques devoirs, de la lecture et le découpage de mes revues Spirou afin de regrouper ensemble les pages de mes histoires favorites en les brochant.

Pas une bonne idée, j’ai scrappé tout mes Spirou et n’ai jamais relu ces histoires que j’avais reliées avec acharnement, à jamais perdu sur des sites antérieures au recyclage organisé…

Bref, j’ai souvent déménagé durant mon enfance et l’adaptation aux nouveaux milieux n’a jamais été facile. Ça explique peut-être ma sympathie envers les immigrants ou les autres minorités qui font face à l’ostracisation d’un « groupe normé »…

Même le « rapporté » qui se retrouve tout seul dans son coin, perdu dans un party où il ne connaît personne à part sa « date », qui est partie danser ou faire autre chose avec « who-ever », ben, il peut se fier sur moi pour que j’aille y faire un bout de jasette!

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J’ai connu l’intimidation à chaque nouvelle école de chaque nouveau village où je suis passé et j’ai survécu parce que « ce qui ne te tue pas te rends plus fort ». Le secondaire n’est définitivement pas la période de ma vie dont je conserve les meilleurs souvenirs.

Je vous épargne les détails mais à partir du CEGEP au moins on étaient à peu près tous étrangers les uns aux autres. Je me suis fait de nouveaux amis

C’est à peu après à cette époque, en écoutant une série sur Van Gogh et Gauguin aux Beaux Dimanches, que s’est immiscée en moi l’idée de transformer mon passe temps favori en talent/aptitudes au service d’une vie d’aventure au bout de l’art. Intéressant… plus qu’une carrière dans l’administration.

Me relevant des humiliations de mes premières années à l’école, développant une espèce de rage envers une société que je jugeais déjà trop matérialiste et hiérarichisée, je suis devenu rebelle, anticlérical, méfiant de toute forme d’organisation, avide de liberté et d’indépendance.  J’ai voté oui  pour la première fois au référendum , déçu par un monde que je jugeais avec désinvolture comme le chantait Aznavour. En fait, j’avais des boutons, j’étais nul en sport, j’avais pas de rythme pis pas l’tour avec les filles! Full frustré quoi!

Bref toutes ces injustices dont je voulais m’affranchir c’est par l’art que j’y arriverait, c’est ce que voulais faire dans la vie: artiste génial et incompris, mais reconnu juste avant de mourir.

Pour l’instant ça va bien, le volet incompris est complété, l’aspect génial est en cour d’analyse et je ne suis pas encore mort!

Comme Gauguin ou plus tard Pollock, défier l’ordre établi.  Ainsi je me sentais, précurseur passionné, buveur déraisonnable, chercheur d’absolu voulant échapper à la tyrannie du conformisme, répondre au rejet de cette « majorité » de village, hostile, au mieux indifférente,  par un gros « fuck you! tcheck ça man! ».

Cherchant ma place ailleurs, rêvant d’îles tropicales ou la vie me semblait plus facile, comme lors de nos vacances aux Barbades, j’avais 5 ans. On est parti de Sept-Îles en janvier pour passer 2 semaines dans une maison sur le bord de la mer avec une big nounou noire adorable qui m’a cuit, comme un oeuf à la poêle,  un oursin que j’avais rapporté après marché dessus sans trop me faire mal.

À Sept-Îles, on avait des plages de sable fin mais l’eau était pas mal plus froide! Il y avait au Barbades d’énormes coquillages, pas juste des écailles de moules cassées mêlées avec le varech laissé par la marée. Pis les palmiers, les crabes, les lézards courant sur les murs, les chèvres sur le sentier menant au village… J’pense que j’en ai toujours voulu à mon père de nous avoir ramené à Sept-Îles! 

Mais bon, « should I stay or should I go? » mais aussi désireux d’en découdre avec le « système »

Je ne le regrette pas, plus de quarante ans plus tard. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais à l’époque. Je ne le sais pas plus aujourd’hui! mais c’est correct. J’aime encore ça l’aventure!

À suivre… 

Les  années CEGEP 

(dans le temps ça s’écrivait comme ça, tout en majuscules.)

Selon la tradition qui poursuit tout artiste maudit, je me suis inscrit en administration tel que le voulait mon père.

Ça n’a pas « toffé » jusqu’à Noël. J’ai abandonné mes cours de concentration  pour me concentrer sur les matières obligatoires au corpus général: français, philo etc. et les options art.

Les discussions à l’agora, au café, à l’association étudiante ou à la « Taverne des Sports » occupait l’essentiel du reste de mon temps « de jour ». 

(J’en profite pour préciser que j’adore ce genre d’incorrection lexicale que je dois bien signifier par des guillemets en guise de clin d’oeil.)

Le soir je faisais autre chose ou rien; et je travaillais comme bus-boy les fins de semaine.

Mon père prétendait que je suivais des cours de pin-ball machine!

Durant ce « no-where zone », entre l’émancipation du domicile (et de la polyvalente, même si c’était moins pire vers la fin) et l’établissement, « on my own », vers un avenir plein de promesse, la lecture d’une biographie de Jim Morrison et une visite un  peu scandaleuse à Toronto ont eu des répercutions qui me suivent encore.

Des amis de mes parents qui étaient déménagés à Toronto m’ont offert de venir passer quelques jours chez eux pour découvrir la ville reine.

C’était de bon ton à l’époque d’offrir l’opportunité à la jeunesse de découvrir une nouvelle ville et donner à son ami un break d’un enfant en moins, pendant quelques jours.

Je pris le train, une bonne ride pour avancer dans ma lecture de « No one here gets out alive ».

Je fut reçu fort aimablement par les amis de mes parents. Entres autres activités nous visitâmes une superbe exposition des oeuvres de Turner au Royal Ontario Museum.

Tout allait bien, la discussion avec l’amie de mes parents allait bon train, on sortait en allant vers la sortie, portant un peu moins d’attention aux oeuvres de la collection permanente, suffisament éblouis les puissantes projections de William Turner.

Puis, par réflexe, j’ai sorti un cigarette de mon paquet alors qu’on s’attardait devant une oeuvre au coin d’une autre salle qui s’offrait vers la gauche, pour poursuivre la visite de la collection permanente, ou la sortie; vers la droite.

Une agente de sécurité s’interposa immédiatement pour m’avertir qu’il était interdit de fumer, je lui rétorquai que la cigarette n’étant pas allumée, je ne dérogeait pas au réglement.

S’en suivit une scène que n’aurait pas renié les Monty Python: où la bonne dame me poursuivait d’injonctions exaspérées tandis je m’attardais devant des oeuvres dont je n’ai rien retenu et que la bonne amie de mes parents roulait des yeux comme un boulier à bingo.

Était-ce sous la mauvaise influence du charisme provocateur du beau Jim?

Toujours est-il que l’incident provoqua un malaise qui me valut une confrontation déterminante avec mon vieux. On ne s’est vraiment réconcilier qu’une quinzaine d’année après.

Le département d’art plastique de St-Jérôme n’était pas ouvert depuis très  longtemps, ainsi nous étions peu nombreux à suivre le programme. Même pas une vingtaine au début de l’année, 8 ou 10 avant Pâques.

Excellente perspective puisque nos professeurs n’avait pas tant d’étudiants « à s’occuper de ». 

J’ai eu de très bons professeurs dans l’ensemble.

À suivre…